Art Public 2025 à Bouillon : un théâtre de formes, de sens et de résonances.
Au cœur des Ardennes, Bouillon se réinvente cet été en laboratoire sensible d’art contemporain. Du 29 juin au 21 septembre 2025, la cinquième édition de Art Public, orchestrée par la Commission des Arts de Wallonie en partenariat avec la Ville de Bouillon, investit l’espace urbain dans un geste à la fois poétique et politique. Après Namur, Tournai, Charleroi et Liège, c’est à Bouillon que l’art s’épanche désormais, tissant un dialogue in situ entre la mémoire médiévale, la nature luxuriante et l’intuition créatrice du présent.
Neuf artistes – figures émergentes et voix confirmées de la scène contemporaine – signent une promenade artistique d’une heure à travers la ville. Une quinzaine d’œuvres, minutieusement intégrées dans le tissu historique, architectural et humain, transforment le centre-ville en un parcours d’expériences, à la fois plastiques et introspectives.

À l’origine du projet, une exigence claire : que chaque création naisse d’une immersion, d’une écoute du territoire et de ses vibrations sociales, culturelles, naturelles. Bouillon ne devient pas un simple écrin, mais un acteur à part entière de cette aventure plastique. Le spectateur, quant à lui, est convié à une lecture sensible du lieu : plus qu’une exposition, une traversée.
Parmi les œuvres phares, Gilbert Fastenaekens propose une photographie de la série SITE II, médidation silencieuse sur les interstices urbains et leur beauté involontaire. « Au départ est posé un alphabet de formes simplistes, élémentaires, fait de façades mitoyennes, qui n’ont jamais été dessinées pour être montrées, qui relèvent non de l’architecture mais de la construction et qui, à force d’attendre en vain une mitoyenneté, sont devenues un repère, une marque, un phare dans la ville. Leurs forces obtuses et leur ‘beauté’ sculpturalement photographique finissent par se mélanger pour former des mots incertains, voire des phrases décousues qui nous parlent d’urbanisme et nous permettent de lire la ville depuis les coulisses, des décors vers la scène », explique l’artiste qui s’intéresse à l’étude des territoires depuis plus de quarante ans.
Anne-Marie Klenes, elle, invoque le rythme ondulatoire de l’eau à travers Encyclie, sculpture minérale faite d’ardoises, parfaitement en osmose avec le jardin du Musée Ducal. Les bastions de Vauban, chargés de mémoire militaire, accueillent Mikail Koçak et son installation You end I, entre signalétique poétique et critique sociopolitique. À quelques pas, Lucas Leffler érige Iconoruin, croisement de pierres et de récits, hommage ambivalent à Godefroy de Bouillon et réflexion sur l’exotisation orientale.

Le château lui-même devient support symbolique avec l’intervention de Léo Luccioni, qui y suspend un blason contemporain gravé des icônes de la mondialisation – logos, marques, empires industriels –, miroir acide des armoiries féodales. Par un jeu subtil entre fiction et réalité, Maxence Mathieu sème le doute dans la ville : ce qui paraît anodin pourrait bien être une performance. Une expérience immersive où l’espace public devient le théâtre de micro-révolutions poétiques. « Mes visites préparatoires ont catalysé l’imaginaire que je me faisais de Bouillon », dévoile Maxence Mathieu. « Sa topographie encaissée avec des vues plongeantes évoque les gradins d’un théâtre. Cela m’a poussé à concevoir un programme de mises en scène à grande échelle, où acteurs, spectateurs, décors et urbanisme se fondent dans un même plan de réalité. Mon souhait : que le modèle embrasse la toile. »
Charles-Henry Sommelette explore, quant à lui, les paysages ardennais dans une esthétique entre symbolisme et cinéma. Silencieux et mélancoliques, ses panoramas parlent des absents à travers ce qui demeure : des traces dans la neige, un souffle suspendu. Le langage, encore, est au cœur du travail d’Olivier Sonck. Ses deux œuvres, à la croisée de l’absurde et du manifeste, jouent sur les glissements sémantiques pour bousculer les évidences : Liebe über alles et Faire le tordu monde… questionnent nos certitudes linguistiques et identitaires.
Enfin, Marie Zolamian compose un chant pictural à partir du poème Le jardin sans soleil de Louis Boumal. Quatre fresques murales, inspirées des miniatures orientales, invoquent la procession, l’offrande et l’amour dans une chorégraphie silencieuse de figures hiératiques et lumineuses. « J’ai peint de frêles figures qu’on peut aligner en cortège. Avec leurs couleurs légères comme atténuées au fil du temps, elles se fondent avec leur support. Ces personnages traités sans volume sont seuls, silencieux, figés dans une posture hiératique. Ils ont une allure de marionnette. Leurs bras tendus récoltent une coupe d’eau dorée de la Semois pour l’offrir. Je les ai tirés d’une série de gouaches de 2013 au double titre : A servir et Asservir. Après une résidence en Cisjordanie, je me suis plongée dans l’art des miniatures persanes et arméniennes. Chaque peinture est accompagnée d’un vers extrait du poème de Boumal qui traduit l’enchantement et l’ardeur de l’amour », détaille Marie Zolamian.
Art Public 2025 à Bouillon n’est pas une exposition figée : c’est un mouvement, une résonance, un regard neuf sur un territoire riche d’histoires et de possibles. C’est aussi un geste politique de proximité : l’art y est libre, accessible, vivant. Il ne s’impose pas : il s’insinue, il chuchote, il bouleverse.
LM
Infos : Du 29 juin au 21 septembre 2025 dans le centre historique de Bouillon, www.artpublic.be.
Crédits photos : Charles-Henry Sommelette, Anne-Marie Klenes et Marie Zolamian