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SMI-LE, de véritables héroïnes dans la rue

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Camille Delvoye et Fanny Caprasse ont fondé SMI-LE, une équipe médicale mobile destinée aux habitants de la rue et visant à permettre à toutes et tous de bénéficier du droit fondamental à la santé. Rencontre avec deux héroïnes du quotidien.

Durant leurs études, Camille Delvoye et Fanny Caprasse effectuèrent respectivement un stage chez EspaceP et au sein des éducateurs de rue. « Nous fûmes directement sensibles à la cause du sans-abrisme mais nous étions frustrées car nous n’avions aucun moyen de répondre aux demandes médicales d’une population qui en avait pourtant considérablement besoin », m’explique cette dernière. En effet, si certaines structures existent pour soigner les personnes sans domicile fixe, celles-ci doivent se rendre dans les centres existants et n’ont trop souvent pas les capacités de se déplacer ou manquent d’informations à ce sujet. L’idée d’un service mobile permettant d’aller à la rencontre de ces personnes qui « stagnent » afin de leur apporter le soutien médical nécessaire germe alors dans l’esprit de ces deux infirmières.

Après avoir fait le tour des associations, les deux amies en ont la confirmation : il existe un réel besoin d’une aide (para)médicale  pour cette population précarisée et parfois craintive par rapport aux métiers de la santé. « Il faut savoir qu’il y a plus de 800 personnes à Liège qui vivent dans la rue et plus ces personnes sont prises en charge tôt, plus le risque de décès diminue », continue Fanny. « Le droit à la santé est un droit fondamental mais qui, malheureusement, n’est pas encore réellement accessible à toutes et tous. »

Armées d’une grande motivation, d’empathie, d’un sens aigu de la justice sociale et de l’accès aux soins pour tous, Camille et Fanny, avec le soutien de tout le réseau, lancent SMI-LE : Service Mobile Infirmier LiégEois. « Nous en avions marre que cette problématique soit cachée ou dramatisée, nous voulions remettre l’humain au centre avec une démarche hyper positive », me précise Fanny pour justifier le nom choisi pour son asbl. SMI-LE pour aussi affirmer à quel point faire preuve de considération et sourire peut avoir un impact auprès de personnes guère épargnées par les turpitudes de l’existence, un aspect sur lequel les deux infirmières de terrain insistent lors de leurs campagnes de sensibilisation.

L’humain au centre de leurs préoccupations

Pour leur projet profondément humaniste, ces deux Liégeoises – également témoins de la détresse humaine à l’étranger – reçoivent le soutien du VentureLab. « Nous fûmes le premier projet non-marchand incubé au VentureLab », souligne Fanny. « Grâce à notre coach, Luc Pire, qui nous a guidées et partagé son énorme carnet d’adresse et aux contacts fournis par l’institution, nous avons pu recevoir une aide précieuse pour créer d’abord et structurer ensuite l’asbl dans un secteur complexe à appréhender. »

Mais c’est véritablement sur le terrain que ces deux infirmières particulièrement unies et complémentaires œuvrent avec enthousiasme et détermination. Leur champ d’activité s’articule autour de deux axes : les maraudes et la coordination médicale. « Plusieurs fois par semaine, nous partons en maraude. Nous parcourons les rues avec nos sacs à dos dans lesquels se trouvent une trousse de premiers soins, des instruments pour prendre les premiers paramètres et des vêtements. Cela nous permet de rencontrer notre public, de leur apporter une première aide, de savoir où vivent nos potentiels patients et de créer du lien afin de mieux identifier leurs besoins par la suite et pouvoir réagir ainsi avec plus d’efficacité », détaille Fanny. « Nous répondons aussi à des signalements pour aller rapidement voir les personnes en mauvaise posture, évaluer le degré d’urgence, apporter les premiers soins, les orienter et les accompagner vers les structures adéquates. Nous les aidons aussi pour l’ensemble de leurs démarches médicales. Tout cela afin qu’elles atteignent le meilleur état de santé possible et redeviennent actrices de leur santé, et de leur vie. C’est un peu comme une infirmière à domicile… mais dans la rue. »

La passion chevillée au cœur et au corps

Au contact de ces personnes fragilisées, Camille et Fanny tissent des liens précieux, apportant également un soutien moral trop souvent absent. « Nous ressentons ce sentiment d’utilité, d’œuvrer pour quelque chose qui a du sens et cela nous offre une reconnaissance de dingue. Humainement, les personnes que nous rencontrons nous apportent énormément, ces échanges sont très riches », me confie Fanny dont la passion pour son métier transpire durant tout notre entretien. « Je n’ai pas l’impression de travailler, cela me nourrit de l’intérieur. »

Cela n’en reste toutefois pas moins éprouvant. « En un an, nous n’avons rencontré « que » 250 personnes. Nous aimerions faire plus encore mais le temps n’est pas extensible », regrette celle qui n’hésite pas à mettre trop souvent sa vie personnelle de côté au profit de son activité. « Nous n’arrivons pas bien à fixer des limites, ce qui est compréhensible quand la vie d’individus est en jeu. Nous ne voulons pas tomber dans la sélection. »

Depuis qu’elles ont démarré, ces deux jeunes femmes en or découvrent de nouveaux visages chaque semaine et n’ont perdu qu’un seul patient, pour une overdose. « Il faut dire que les personnes vivant dans la rue sont tellement en mode survie qu’elles ont bien souvent un système immunitaire super développé », reconnait Fanny. Mais pour répondre à la demande et permettre que ce droit fondamental à la santé soit davantage respecté, ces deux héroïnes – car c’est bien ce qu’elles sont ! – du quotidien auront besoin de davantage de soutien, elles qui reçoivent des demandes d’aide tous les jours. L’appel lancé fut entendu, la campagne de crowdfunding de SMI-LE récoltant pas moins de 27 000 euros, bien plus que l’objectif initial qui était fixé à 20 000 euros. « Grâce à cela, notre budget annuel est bouclé », se félicite Camille qui pourra, avec son acolyte, se concentrer sur l’action de terrain.

Thiebaut Colot

Plus d’informations : www.smi-le.org

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