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« L’important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage… »

À la une Politique Société

La Coupe du monde au Qatar approche à grands pas et continue de faire couler beaucoup d’encre. Dans une brillante lettre ouverte, Jean-François Chefneux appelle au boycott de cet évènement planétaire.

Ils sont nombreux, connus et moins connus, à considérer que cette Coupe du monde au Qatar est une pure hérésie. Passons sur l’aspect sportif avec un évènement déplacé pour la première fois de son histoire aux mois de novembre et décembre, chamboulant tout le calendrier, les championnats nationaux et les compétitions continentales. Non, ce qui hérisse le poil d’une foultitude d’observateurs avisés – dont certains comme Vincent Lindon ou Eric Cantona n’hésitent pas à monter au créneau -, c’est d’organiser le plus grand raout footballistique de la planète dans un pays qui bafoue régulièrement et allègrement les droits de l’homme et des minorités, qui a construit ses arènes sur les cadavres d’ouvriers népalais ou pakistanais et qui se contrefiche totalement de l’empreinte écologique – bon sang, des stades climatisés ! – que laisseront ces quatre semaines dédiées au sport-roi.

Un ensemble de raisons qui pousse Jean-François Chefneux, Echevin verviétois a prendre une position forte et claire au travers d’une lettre ouverte que vous découvrirez ci-après en intégralité.

« L’important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage…
Jean-François CHEFNEUX
Avocat
Mandataire local (à titre personnel)

Lorsqu’on évoque le réchauffement climatique, la victime habituellement identifiée est  » la planète « . Et c’est bien dommage. En effet, sauf à considérer qu’elle soit dotée d’une forme d’intelligence et de conscience d’elle-même, que nous soyons capables de la comprendre, et qu’elle considère comme une mauvaise chose le phénomène dont nous parlons, je crois bien que  » la planète  » se fiche du réchauffement climatique. Elle continuera de tourner, sans état d’âme, même si les espèces qui la peuplent – dont nous sommes – devaient s’éteindre. Affirmer qu’il faut lutter contre le réchauffement climatique pour sauver  » la planète  » relève déjà d’un processus de prise de distance déresponsabilisant. Car ce qui se joue aujourd’hui, c’est la question de notre survie et de ses conditions. Mais peut-être l’enjeu est-il, ainsi posé, trop angoissant pour être regardé droit dans les yeux.
Les conséquences de ce qui est d’ores et déjà irréversible – en mettant donc de côté ce qu’engendreront nos actes futurs – seront colossales et catastrophiques, sur les plans environnemental, économique, énergétique, social, alimentaire, géopolitique (imagine-t-on un instant l’impact des plus de 200 millions de réfugiés climatiques prévus à l’horizon 2050 ?), etc. Directement ou indirectement, nos modes de vie en seront profondément perturbés. Les conséquences des inondations de l’été 2021 et les ravages des hausses récentes du prix de l’énergie en donnent un minuscule aperçu.
Si la prise de conscience est de plus en plus large (grâce notamment aux travaux du GIEC, fruits d’un consensus de milliers de scientifiques et des 195 pays membres), nous continuons à faire preuve d’un déni coupable quand il s’agit de nous appliquer le traitement prescrit. Je n’ai pas l’autorité pour expliquer les dynamiques psychologies qui sous-tendent pareille attitude, mais le syndrome de l’autruche doit en faire partie. Je dirais simplement que notre comportement m’évoque cet extrait du film La Haine : l’histoire de l’homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages et qui, au fur à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer :  » Jusqu’ici tout va bien… « , en oubliant que l’important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage. Cela nous permet de nous contenter, depuis trop d’années, de mesures largement insuffisantes ou de décisions destinées à nourrir un dogmatisme politique condamnable.
L’organisation de la prochaine coupe du monde au Qatar est un exemple remarquable du mal dont nous souffrons.
Nous climatisons des stades à proximité d’un des déserts les plus chauds du monde, à un moment où nous demandons à nos citoyens des efforts pour réduire leur empreinte environnementale (et à un moment où beaucoup auront des difficultés pour se chauffer). Mais certains ne voient pas le problème. Ou se contentent des promesses de neutralité carbone, qui pourtant raisonnent – de l’avis des experts les plus au fait de ces thématiques – comme relevant d’une stratégie de greenwashing. Nous nous gargarisons de belles déclarations sur des valeurs que nous entendons défendre (les droits de l’homme, la lutte contre l’homophobie, la défense du droit de grève, le droit du travail, la liberté d’expression, l’égalité, l’égalité femmes/hommes, la démocratie, etc). Mais la Coupe du Monde s’organise dans une monarchie absolue, où règne l’élite masculine, où un homosexuel risque la prison, et qui, plus largement, s’assied consciencieusement sur toutes les valeurs dans lesquelles nous nous drapons. Mais certains ne voient pas le problème. Ou se cacheront derrière une rhétorique bancale, du style :  » retransmettre l’événement, ce n’est pas le cautionner « , ou  » je ne crois pas que c’est en boycottant qu’on va faire avancer les droits humains au Qatar « .
Comme l’a exprimé récemment l’acteur Vincent Lindon :  » On est dans un asile géant « .
Il a pleinement raison. Et il est grand temps d’ouvrir les yeux, en nous remémorant, la formule de Mitterrand,  » dans les épreuves décisives, on ne franchit correctement l’obstacle que de face « .
D’abord, il est capital que nous, mandataires publics, assumions les actes qu’impliquent nos belles déclarations. Que nous cessions d’être des indignés à géométrie variable, prompts à dénoncer les problèmes, mais lents, lorsqu’il s’agit de les solutionner, à consentir le moindre effort et à en payer le prix. Ces dernières années, le conseil communal dont je suis membre s’est positionné sur de multiples sujets (comme probablement de nombreux conseils communaux) : le sort des Ouigours, l’invasion russe en Ukraine, le respect de la parité femmes/hommes lors d’événements culturels, les violences faites aux femmes, le soutien au peuple palestinien, la fermeture immédiate des réacteurs nucléaires belges, la lutte contre le racisme, contre l’homophobie, etc. Les mandataires publics que nous sommes peuvent difficilement passer à côté d’une pareille aberration sans réfléchir aux moyens dont ils disposent pour agir.
Ensuite, je considère qu’il est de notre responsabilité de mandataires publics d’assumer que demain sera plus compliqué qu’hier (ce qui ne signifie pas nécessairement moins heureux). Cela passera notamment par l’adoption de mesures qui pourront déplaire et nécessiteront, dans notre chef, d’importants efforts de pédagogie et beaucoup de présence sur le terrain.
Enfin, il est heureux d’observer que, progressivement, dans le monde entier mais aussi en Belgique, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer cohérence et courage sur ce sujet. Il est temps de nous joindre à ces voix.
Chacun, au sein de nos assemblées respectives, nous devons réfléchir à ne pas consacrer, directement ou indirectement, le moindre euro d’argent public à la couverture de la Coupe du Monde 2022 et appeler concitoyens et acteurs de nos territoires à se questionner individuellement sur le geste qu’ils pourraient poser.
Pour ma part, j’irai un peu plus loin. Je ne regarderai pas le moindre match de cette coupe du monde. »

Thiebaut Colot

Crédit photos : DR

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