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« Depuis tout petit j’ai cet attrait pour le large, pour voir plus loin, derrière l’horizon »

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#Liégeois vous emmène à la rencontre de Jonas Gerckens, skipper exceptionnel et vrai chic type, qui s’apprête à disputer sa deuxième Route du Rhum, une traversée de l’Atlantique en solitaire.

Les chiens ne font pas des chats et la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Fils d’un ancien athlète de haut niveau, Jonas Gerckens a suivi la voie tracée par son père, Jean-Benoît, préférant toutefois l’immensité bleue à l’ocre des tartans. Après qu’une blessure ait privé le paternel de Jonas d’une participation aux Jeux Olympiques de Montréal, il emmène toute sa smala pour un tour de l’Europe à la voile avant de s’arrimer en Bretagne, près de Saint Malo, avec l’ambition de construire un bateau pour effectuer un tour du monde. Dans cette région du globe où la voile est une religion, Jonas découvre les joies de la navigation. Malheureusement, la société en charge de la construction du navire fait faillite et la famille Gerckens quitte la Cité malouine pour la Cité ardente.

Privé de mer, Jonas se prend de passion pour les tatamis et pratique le judo en compétition avant qu’une blessure, là aussi, ne mette un frein à ses espoirs de percer dans les arts martiaux. « Ma coach m’avait également assuré que je pouvais atteindre un bon niveau mais sans plus », me confesse, attablé Aux Augustins devant un café brûlant, ce Liégeois fier de l’être. « J’adore cette ville, son esprit, son architecture et son évolution ainsi que son côté ‘village’ ». Lors de ses études à Beckman, Jonas réalise un dossier de sponsoring pour l’organisation d’une grande course au large. « Je me suis rendu compte que j’avais cette envie d’être sur l’eau », m’assure-t-il avec son large sourire.

Ni une, ni deux (ou presque), ce passionné jusqu’au-boutiste fait son baluchon et retourne en Bretagne pour y suivre une formation à l’école des Glénans. Il y apprend les différents métiers et développe les compétences qui lui seront indispensables, un jour, pour ses futures courses au large. « Mon apprentissage fut rapide et c’était passionnant pour moi qui avais, petit, le poster de Loïck Peyron punaisé sur le mur de ma chambre », continue-t-il. Après une première vraie « compet’ » en 2005, Jonas dispute une première mini-Transat en 2007 qui lui permet « d’engranger de l’expérience. »

Pendant une décennie, Jonas reste dans le circuit Mini. Toute proportion gardée, à l’instar de la F1 , la voile est divisée en plusieurs catégories et est une discipline onéreuse. Il ne suffit pas de performer pour pouvoir atteindre le Graal, il faut aussi trouver des sponsors. Jonas brille en classe Mini, étant dans le Top 5 mondial pendant cinq ans avec une place de numéro un en 2012, remportant au passage en 2014 Les Sables-Les Açores, une course de deux semaines, qu’il boucla également en deuxième position en 2013 et en troisième en 2016.

« Un gagnant est un rêveur qui n’abandonne jamais. » (Nelson Mandela)

2016 marque d’ailleurs un tournant dans la carrière et dans la vie de Jonas, éternel optimiste et véritable battant. Sans sponsor et conscient que poursuivre dans ces conditions devenait compliqué, la question d’arrêter se pose. « Je pensais devoir raccrocher mon ciré au clou », reconnaît-il. C’est alors qu’il reçoit un coup de fil qui va faire basculer son existence. Par l’intermédiaire de la Fédé, Volvo lui propose de devenir ambassadeur de la voile en Belgique et de le suivre pendant un an. Les résultats sont au rendez-vous et la marque automobile scandinave s’engage à ses côtés pour plusieurs années – Jonas et Volvo ont par la suite signé un nouveau contrat qui les lie jusqu’en 2025 – et met à sa disposition un budget pour acquérir un bateau d’occasion afin de disputer la Route du Rhum en 2018, la course qui l’a toujours fait rêver. « Depuis tout petit, j’avais cet attrait pour le grand large, je voulais voir plus loin, derrière l’horizon » me dit-il avec une certaine poésie.

À la barre d’un Class40 baptisé Oufti – Liège n’est finalement jamais bien loin – , Jonas parvient à remplir ses deux objectifs : terminer la course et surpasser le meilleur résultat belge (Michel Kleijans en 2014) en se classant quatorzième. Les retombées médiatiques sont conséquentes, les passionnés se mettent à le suivre : l’histoire est en marche. De ces 21 jours, 9 heures, 55 minutes et 15 secondes passées entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre, Delphine Simon, ancienne journaliste de la RTBF et désormais manager de Jonas, en tire un joli film intitulé Le rêve de Jonas.

Désormais davantage épaulé, Jonas en profite pour lancer les Red Dolphins, un double mixte pour la course au large. Une aventure là aussi ponctuée de succès, l’équipage belge réussissant à terminer trois fois vice-champion d’Europe et à glaner une médaille de bronze, en 2021, à la Coupe du monde disputée en Italie. En 2021, Jonas et son co-skipper Benoit Hantzperg se classent également quatrièmes de la Transat Jacques Vabre. « Après la Coupe du monde avec les Red Dolphins, j’ai eu très peu de temps pour préparer cette course », se souvient celui qui a déjà été désigné quatre fois Meilleur marin belge – « C’est une reconnaissance du milieu et je suis fier que mon nom soit associé à ceux des autres lauréats de ce prix qui existe depuis 1986 » – et qui, manque de chance, se casse une côte à quatre semaines du départ. Obligé de prendre du repos, le Liégeois reçoit le feu vert médical à quelques jours du grand départ. « On m’avait prévenu que les douleurs n’allaient pas s’estomper mais qu’il n’y avait pas de risque de détérioration », me précise Jonas qui, longtemps deuxième, rate le podium de très peu.

Début novembre 2022, ce skipper exceptionnel s’élancera à la conquête de la Route du Rhum à bord de son nouveau bateau : Rawette. « La route du Rhum, c’est un peu comme le Tour de France de la voile, plus de deux millions de personnes sont attendues à Saint-Malo pour le départ », remarque Jonas qui espère faire au moins aussi bien que lors de sa première participation même si, par rapport à 2018, plus de vingt nouveaux bateaux sont attendus dans la rade de la ville chère à Vauban. « Il y a un formidable engouement pour la course au large – où l’aventure prime parfois sur l’aspect compétition et qui raconte de belles histoires humaines – et au moins vingt prétendants au Top 10. »

« Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles. » (William Arthur Ward)

Pour mettre toutes les chances de son côté, Jonas s’astreint à une préparation aussi pointue qu’énergivore à Lorient, dans la « Sailing Valley ». « C’est là que sont installés les meilleurs skippers, mais également les meilleurs coachs et industries nautiques. Dix marins du Top 20 mondial y vivent et nous nous entraînons ensemble afin d’optimiser nos chances de performer », m’explique-t-il. C’est que la voile a bien changé en deux décennies, devenant un véritable sport de haut niveau nécessitant un entraînement complet alliant préparation physique et mentale ainsi que formation technique et météorologique. « Le sommeil est une des clés de la réussite lors de courses en solitaire. À bord, sur une période de vingt-quatre heures, il faut pouvoir se reposer cinq heures par tranche de vingt minutes », m’apprend Jonas. « Connaître son bateau, pouvoir parer à toute éventualité et être capable de s’occuper des petites réparations est également indispensable, tout comme interpréter parfaitement la météo afin de pouvoir choisir le meilleur itinéraire. La trajectoire la plus courte n’est pas forcément la plus rapide. » À  cela s’ajoutent aussi des stages de survie et des sessions pour gérer les situations de crise qui ne manquent pas de survenir lorsqu’il s’agit de traverser seuls des flots déchaînés.

L’océan peut en effet se révéler terriblement dangereux. « Il faut rester humble face à la nature car elle sera toujours plus forte », relève Jonas dont le côté aventurier et compétitif en fait un redoutable challenger. « Nous sommes de mieux en mieux préparés, j’ai toujours ramené mes bateaux et je ne me suis jamais senti en danger. » Quant à la solitude inhérente à ce genre d’épreuve, elle n’effraie pas le moins du monde ce fier Belge – « Quand je vois la Belgique sur un maillot, ça me parle » – qui n’hésite pas à arborer le drapeau noir-jaune-rouge lors de ses escapades maritimes. « Je suis à l’aise avec l’effort solitaire, c’est sans doute lié à mon enfance et cela permet de ne pas avoir à remettre la faute sur quelqu’un d’autre. »

En course, Jonas apprécie l’aspect compétition et le choix des stratégies mais aussi la symbiose avec la nature qui offre parfois des instants magiques et contemplatifs, comme lorsqu’un ciel dégagé dévoile ses milliers d’étoiles scintillantes. La voile comble ce passionné. « La terre est constituée à 75% d’eau, ce n’est pas plus mal de savoir l’appréhender de façon ludique en jouant avec la force magique et transparente qu’est le vent », remarque-t-il. « Cela exige aussi de l’humilité, un respect du milieu qui t’entoure, de la persévérance et du dépassement de soi. Et surtout de continuer à rêver. »

Pour celui que la pétole (l’absence de vent) effraie davantage que les tempêtes, le rêve d’absolu se poursuit et se cristallisera sur l’océan Atlantique où, sans nul doute, il devrait à nouveau épater la galerie.

Thiebaut Colot

Crédit photos : Arnaud Salmon

La Maraudière