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« Il faut se donner le temps de se perdre, de s’égarer. Une histoire alors parfois surgit »

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La librairie liégeoise Livre aux Trésors consacre une exposition à Hendrik J. Hunter, photographe hollandais dont l’ouvrage Once upon a time a séduit et marqué Manu d’Autreppe. Le vernissage aura lieu ce vendredi 30 juin en présence de l’artiste.

Ce talentueux photographe batave a publié en mars dernier un beau livre intitulé Once Upon a time – le titre est directement inspiré de l’ancien Palais des Sports désaffecté à Coronmeuse. Celui-ci est un portrait du coeur post-industriel de l’Europe occidentale dans lequel les paysages, les portraits et les intérieurs racontent l’histoire de femmes et d’hommes de différentes cultures qui tentent de tirer le meilleur parti de leur vie dans une région d’une beauté oppressante, presque cinématographique. Les 95 images qui constituent ce bel ouvrage montrent quel peut-être l’impact de la fermeture des grandes entreprises industrielles sur un territoire et sur ses habitants lorsque l’économie locale doit se réinventer.

Un formidable témoignage de notre époque qui n’est pas sans rappeler la mythique émission Strip-Tease, a suscité l’intérêt des médias belges et internationaux et beaucoup marqué Manu d’Autreppe, frappé de découvrir ainsi une région qu’il connaît pourtant si bien. « Parfois, on croit connaître assez bien la photographie, les photographes — on se trompe peut-être. Parfois, on croit avoir parcouru suffisamment une région, un territoire, ses visages, son passé, et ce n’est pas si vrai. Un jour, vous tombez sur un livre qui vous saisit et vous impressionne. Apparemment surgi de nulle part, et rencontré par hasard. Large et fort volume, cartonnage épais, impression raffinée, amplitude du regard, peinture du détail. Et vous plongez. Vous ne connaissez pas encore le photographe, et vous ne reconnaissez plus tout à fait cette
région. Mais les deux vous parlent. En silence. Ils se sont rencontrés et vous invitent, en intrus toléré »
, explique ce professeur de photographie. « Car il n’y a pas de grands discours, dans le livre de HJ Hunter. On est même frustré, dans un premier temps, par l’impression qu’il n’y a pas assez d’infos, que la légende manque, que la clé de lecture se dérobe. On reconnaît la région pourtant, vaguement tracée: cercle de souffrance et de sidérurgie, à la conjonction des Limbourg belges et hollandais, du Pays mosan. Fleuve, rouille, laminage du temps, lutte dérisoire de la verdure. Coups de griffe de l’envol industriel. Puis, bien après, un dosage — celui qui fonctionne — de familiarité et d’étrangeté, une juste grammaire qui entrouvre des histoires muettes. C’est si loin et si près à la fois, hier et aujourd’hui, ces fossés de lumière, ces couleurs non raccord, ce choc des cultures, ces remparts violents entre groupes sociaux, que l’on cherche trop souvent à attiser, soit à faire oublier. »

« Un livre qui vous saisit et vous impressionne »

Manu d’Autreppe poursuit son analyse. « Les portraits bien sûr vous interpellent. Mais les lieux vides sont, tout autant que les visages, habités et désertés. Un cadrage large, une frontalité neutre: vous pensez au Stranger Passing de Sternfeld. Une ironie baroque et truculente, bariolée. La forme la plus documentaire finit toujours pas se confondre avec la forme la plus littéraire… Et Martin Parr vous vient en tête — sans moquerie ici, cependant. Une empathie pour la souffrance, qui nous renvoie au réalisme social des années trente. Mais les références ne suffisent pas car elles n’encombrent pas; le projet est à la fois instruit et très libre, naïf même, mais exigeant. Son ampleur n’est pas mégalomanie mais curiosité et générosité, tant pis pour les faux-frais. Il faut aussi se donner le temps de se perdre, de s’égarer. Une histoire, jusque-là cachée, alors parfois surgit », détaille-t-il. « Avec patience, avec un grand sens de l’écoute (car finalement, les discours non dits et les informations tues se trouvent ailleurs dans le récit, dans des marges, des rushes, des vidéos, on les découvre par après), Hendrik Hunter a conçu « de l’extérieur » une des fresques qui savent puiser au plus profond, vers l’intérieur. Creuser. Sans psychologisme ni surplomb, et en se tenant au vertige de ce qui s’énonce en surface: des ruines, des peaux, des teintes, des formes, énigmes plus ou moins déchiffrables. De l’hier, encore formidablement présent. Car au fond, les lieux disent si bien qui nous sommes, et nous-mêmes peinons tant à nommer les lieux. Même, et surtout, quand la richesse de leur description nous submerge. L’évidence est sous nos yeux, mais qui l’écrira ? Au fait, où (et donc qui) sommes-nous au juste ? »

La libraire Livre aux Trésors à Liège consacre une exposition au travail de Hendrik J. Hunter via une sélection de clichés tirés de son dernier ouvrage. Une expo dont le commissaire n’est autre que Manu d’Autreppe qui s’entretiendra avec le photographe hollandais ce vendredi 30 juin à 18 heures pour le vernissage de Once upon a time. Un joli moment en perspective….

Thiebaut Colot

Crédits photos : HJ Hunter

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