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« Tous les marins sont un peu amoureux de leur bateau »

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#Liégeois vous emmène à la rencontre de Gilles Buekenhout, skipper belge qui prend part pour la quatrième fois à la mythique Route du Rhum.

Ce n’est pas dans le bassin où mouillent tous les bateaux engagés dans cette douzième édition de la Route du Rhum que je rejoins Gilles Buekenhout mais bien sur un chantier naval non loin de là. En rejoignant la Cité malouine, le skipper belge a « rencontré » une cardinale ayant dérivé et son superbe trimaran ‘Jess’ a subi une avarie. Malgré l’évident contre-temps et le surplus de stress généré, ce Bruxellois résidant depuis longtemps à Pornichet reste serein et souriant. « C’est déjà une victoire d’être dans le bassin », souligne cet amateur éclairé. « J’ai tout fait pour être sûr de participer à cette course, en m’inscrivant dès le premier jour puis en jouant la sécurité lors des qualifications. »

Jusqu’à l’âge de douze ans, Gilles vécut en Afrique, son paternel travaillant pour la Sabena. C’est là qu’il eut trois Rodhesian Ridgeback avant, bien des années plus tard, d’accueillir Filo, un superbe Rodhesian dont le portrait flotte au vent sur son bateau. « C’est un peu ma madeleine de Proust », se hasarde Gilles dont la fille a lancé Fripaws.fr, une sorte de Vinted pour animaux. « Ma famille me soutient dans cette aventure. »

Très jeune, ce fringant sexagénaire se passionne pour la voile sans pour autant y faire carrière. Architecte de formation, Gilles travaille plusieurs années dans ce secteur à Bruxelles, notamment à la construction de l’aéroport de Zaventem. Désireux de changer d’air, il emmène toute sa petite famille à Pornichet pour y reprendre un commerce en lien avec… la voile. Au bout de quatre ans, il revient à ses premiers amours, revend son commerce et fonde son bureau d’architecture. Dans cette ville située sur les bords de l’océan Atlantique – un océan qu’il s’apprête à traverser le plus rapidement possible pour rallier la Guadeloupe – et qui offre un beau domaine de navigation, Gilles partage son quotidien entre son métier d’architecte et son amour pour la voile. « J’ai toujours navigué », rappelle-t-il. « J’aime le défi d’arriver à boucler une course, la technicité des bateaux, rencontrer les éléments – ce qui confère une franche humilité – et négocier les difficultés. Et puis, quand les conditions sont agréables, il y a un vrai plaisir de la glisse, de la vitesse. Un formidable feeling. »

La Route du Rhum a la particularité – à l’instar, par exemple, du Dakar – de mettre en compétition des skippers professionnels et des amateurs éclairés. Gilles fait partie de cette seconde catégorie, ce qui rend son défi de traverser, seul et à la voile, les 6562 kilomètres qui séparent Saint-Malo de la Guadeloupe encore plus remarquable. « Je ne suis pas professionnel donc je me suis préparé comme je le pouvais », me glisse-t-il malicieusement. Pas de stage de sommeil ou de sophrologie, moins de datas enregistrés et d’analyses météos – même si cela reste un des éléments les plus surveillés par ce Breton d’adoption – mais du vélo pour promener son chien et de la plongée pour nettoyer la coque de son bateau afin de travailler son cardio. Et, bien évidemment, de fréquentes sorties en mer et plusieurs courses.

Ce sera la quatrième fois que Gilles prendra part à cette formidable aventure, ce qui lui permet d’aborder peut-être plus sereinement la course. Une transat en solitaire qu’il n’a bouclé qu’une seule fois en trois tentatives, la malchance l’ayant empêché d’aller au bout lors des deux éditions précédentes. « L’objectif, cette année, est avant tout de terminer la course. Et de toute façon, il faut d’abord boucler la traversée pour espérer faire un résultat », rigole le skipper belge. « En 2010, j’avais rallié la Guadeloupe en 19 jours. J’espère pouvoir le faire cette fois en 17 ou 18 jours, même si tout dépend évidemment de la météo. Et ce serait formidable de finir dans le Top 5 de ma catégorie. »

Une catégorie, la Rhum Multi, où la concurrence sera féroce avec notamment ‘Flo’ de Philippe Poupon, vainqueur en 1986, Marc Guillemot, troisième en 2014 et 2010 sur un Imoca et troisième du Vendée Globe en 2008, ou encore Roland Jordain, double vainqueur du « Rhum » en 2006 et 2010 dans sa catégorie. « Même s’ils sont fortement sollicités, ces mecs-là restent assez ouverts et sympas. Je suis assez admiratif de ces skippers exceptionnels et c’est un honneur pour moi d’aller me « bagarrer » avec eux. Si je ne casse rien, j’ai peut-être une chance car j’ai pu encore constater à la Drheam Cup (ndlr : premier en 2018) que mon bateau allait vite », reconnait Gilles.

Depuis 2017, le Belge est l’heureux propriétaire de Jess, un superbe trimaran que son ancien propriétaire, Philippe Coste, a fait construire à Nouméa. Un bateau unique et diablement compétitif. « Je n’ai jamais eu le bateau de monsieur Tout-le-Monde », précise Gilles qui fut immédiatement séduit par son actuel trimaran. « ‘Jess’ mérite de boucler cette Route du Rhum et ce sera aussi une forme d’hommage à son propriétaire précédent, lui aussi amateur éclairé. »

Sans team autour de lui, Gilles s’occupe seul de ‘Jess’, ce qui lui permet de tisser une relation particulière avec son trimaran. « Tous les marins sont un peu amoureux de leur bateau et sont très connectés à celui-ci » m’assure-t-il. « Je suis très à l’écoute de mon bateau, j’arrive à distinguer les bruits suspects. Et les multicoques offrent une vraie sensation de vitesse avec, cependant, la constante appréhension de chavirer. Une notion de danger qui reste présente dans un coin de la tête. »

A bord pendant au moins deux semaines, Gilles devra choisir la meilleure route et gérer son sommeil. « Je sais que j’ai « le train qui passe » vers 23h30 et il faut pouvoir s’accorder des plages de repos quand se profilent des créneaux de sécurité », explique-t-il. Ce qui sera difficile lors des premières heures et premiers jours de course tant la météo s’annonce dantesque, les participants sachant pertinemment qu’ils vont au carton vu les prévisions annoncées. « Au départ comme à l’arrivée, c’est l’adrénaline qui prédomine. »

En mer, Gilles peut toutefois aussi savourer des moments de plénitude absolue, entouré par l’immensité bleue et frappé par la beauté de la nature. « Je n’ai jamais vu d’albatros mais j’ai croisé des Fous de Bassan, magnifiques en vol avec leur tête jaune alors qu’une autre fois, dans le golfe de Gascogne, j’ai été escorté par des centaines de dauphins », me raconte ce passionné. « Il y en avait à perte de vue et c’était assez rigolo car un seul d’entre eux se démarquait par des cabrioles saugrenues. Cela devait être l’original de la bande. »

Gonflé à bloc pour cette formidable épopée, prêt à fendre l’eau et à repousser ses limites et celle de son embarcation, Gilles va pouvoir vivre un rêve éveillé et une aventure exceptionnelle.

Thiebaut Colot

Le palmarès de Gilles Buekenhout est à découvrir ici.

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Pour découvrir l’excellent concept Fripaws lancé par la fille de Gilles Buekenhout, c’est ici.

Crédit photos : Albert Colot

La Maraudière