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« Je me nourris du monde »

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#Liégeois vous emmène à la rencontre de Zoé Derleyn, brillante autrice bruxelloise qui vient d’être récompensée du prix Marcel Thiry pour son premier roman Debout dans l’eau.

Petite, Zoé Derleyn se rêvait vétérinaire – c’est peut-être pour cela que de nombreux animaux trouvent refuge dans ses textes – et aimait déjà écrire des histoires. Mais très vite, dès l’adolescence, c’est la peinture qui devint sa passion. « Dans mes tableaux, j’ai commencé par intégrer des petits bouts de texte », m’apprend cette Bruxelloise de 49 ans travaillant au service archive, patrimoine et réserve précieuse de l’ULB. « J’ai ensuite délaissé la peinture pour me consacrer à l’écriture. »

Bien lui en a pris car après un premier recueil de nouvelles remarqué, Le goût de la limace, son premier roman Debout dans l’eau vient d’être récompensé du prix Marcel Thiry« C’était inattendu – ça l’est toujours – mais c’est beaucoup de joie. C’est important car c’est une forme de reconnaissance et un moment qui permet  au roman d’exister. J’ai beaucoup de gratitude envers le jury qui a pris du temps pour lire de nombreux livres afin de mettre la littérature en avant », sourit Zoé. « Cela valide en quelque sorte mon travail et prouve que quelques personnes ont bien aimé ce livre. »

Depuis très longtemps, Zoé a pour habitude de se balader avec un carnet dont elle noircissait les pages. « D’abord pour moi, cela m’a ensuite confortée dans l’envie d’aller davantage vers l’écriture. Avoir ce carnet me permet de noter les idées qui me traversent l’esprit », continue-t-elle. « Je crois que je ne peux peut-être pas faire autrement qu’écrire. J’en ai besoin pour me sentir presqu’exister, pour être complètement vivante. »

Cette insatiable lectrice n’a guère changé depuis qu’elle publie. « C’est plutôt le regard des autres qui diffère, cela apporte une certaine légitimité », me précise-t-elle avant d’évoquer son rapport au monde, forcément influencé par son goût pour l’écriture et la peinture. « Comme chaque personne engagée dans un processus créatif, je me nourris du monde, j’absorbe, je suis à l’affût. Je regarde et tente de percevoir tout ce qui m’entoure. »

L’inspiration lui vient de partout, parfois d’une simple phrase ou d’une émotion vivement ressentie, et déboucha d’abord sur des nouvelles. « C’est un genre que j’affectionne, notamment pour sa liberté de ton et d’écriture ainsi que pour sa concision », poursuit Zoé. « Ce n’est pas complètement la même énergie que pour un roman, le rythme est crucial. »

Debout dans l’eau fut initialement une nouvelle – qui est presque le premier chapitre du roman. « Ce n’était pas prémédité d’en faire un roman mais j’ai eu envie de prolonger un peu le temps passé avec mon personnage. J’ai alors écrit une deuxième nouvelle et, finalement, j’ai écrit l’histoire de façon morcelée, pas linéaire, un peu comme un puzzle ou un film. Et j’ai accordé beaucoup d’attention à chaque chapitre, un peu comme si tous étaient des nouvelles », m’explique-t-elle.

Un superbe roman qui met en scène une fillette de onze ans vivant, à la campagne, dans la vaste maison de ses grands-parents. « Ce n’est pas autobiographique mais je me suis inspirée de mon enfance au niveau des émotions et des sensations », me précise cette passionnée. « Ma fille avait le même âge que l’héroïne au moment où le livre est sorti. J’avais déjà écrit quelques nouvelles avec des adolescents. J’aime bien utiliser des enfants ou des ados comme personnages principaux, cela me donne beaucoup de liberté – même si certaines contraintes de vocabulaire peuvent être plus difficiles. Les enfants n’ont pas de filtre, ils explorent le monde et leurs émotions, c’est très libérateur. »

Si elle se qualifie volontiers de diesel, Zoé livre avec Debout dans l’eau, un premier roman d’une rare force. « Il faut, dans chaque récit, que les personnages prennent corps, se mettent pratiquement à exister en dehors de la personne qui écrit, sinon cela ne fonctionne pas », m’assure-t-elle. « Ecrire c’est douter, en tout cas pour moi. C’était déjà le cas avec la peinture où, contente le soir, je me demandais le matin quelle croûte j’avais bien pu réaliser. Il y a une sorte d’euphorie, de danse mais, à un moment, il faut pouvoir se satisfaire ponctuellement des phrases alignées. »

Avec ce prix qui est l’un des plus prestigieux de Belgique, Zoé fait son entrée parmi les autrices et auteurs qui comptent et nul doute que celle qui travaille à un nouveau recueil de nouvelles – « je pensais qu’il serait fini dans deux mois mais en fait non, ce sera plus long » – sera attendue par les lecteurs. « Tant que je continuerai à trouver du temps pour continuer à écrire, tout ira bien », conclut-elle.

Thiebaut Colot

Le premier recueil de nouvelles de Zoé Derleyn Le goût de la limace – Quadrature (editionsquadrature.be)

Le premier roman de Zoé Derleyn Debout dans l’eau | rouergue (lerouergue.com)

Crédit photos : Cyrus Pâques

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