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« La BD, c’est un peu comme du cinéma sur papier »

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En pleine campagne de « Lisez-vous le belge ? » et alors que les températures commencent à chuter, #Liégeois / Liégeois Magazine vous emmène à la rencontre de Jean Cremers, lauréat du prix Rossel de BD 2023 pour son superbe Vague de froid.

C’est au premier étage des Galeries St Lambert, au sein de JM Dubuc Galerie by #Liégeois, notre galerie d’art qui poursuit la diversification de notre structure #Liégeois dont Liégeois Magazine fait partie, que le rendez-vous est fixé avec Jean Cremers pour un entretien tout sauf glacial.

Le longiligne Liégeois dont la silhouette n’est pas sans rappeler la finesse de ses dessins a réussi une entrée tonitruante dans le monde de la bande dessinée avec Vague de froid publié chez Le Lombard et qui a remporté le prix Fnac BD 2023 et le prix Rossel de la BD voici quelques jours. « C’est un peu une surprise car on ne fait pas de la BD pour gagner des prix mais c’est la preuve que Le Lombard fait bien son boulot », sourit Jean. « C’est chouette aussi car cela offre une vraie visibilité, cela fait vivre l’album plus longtemps et permet de toucher un autre public. Il n’y a rien de plus gratifiant qu’une personne qui me dise : ‘Je ne lis jamais de bande dessinée, mais celle-là je l’ai lue.’ On a toujours envie d’être lu mais le succès et la célébrité ne m’intéressent pas. Il n’y a pas de quoi prendre la grosse tête. »

Un véritable plébiscite pour ce jeune talent, diplômé de Saint-Luc et puis de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège après une scolarité classique à Saint Barthélémy. « Après avoir achevé mes secondaires, j’ai décidé de m’orienter vers des études biomédicales mais je dessinais tout le temps en cours. Une prof de l’établissement m’a conseillé de m’inscrire dans une école d’art, j’ai suivi ses conseils », glisse Jean qui a opté pour un cursus en bande dessinée car c’était la formation dans laquelle on dessinait le plus.

Assez tôt, Jean montre des prédispositions – « je n’aime pas ce mot », précise-t-il – pour le dessin, recopiant ceux qu’il trouve jolis. Son grand-père devenu artiste sur le tard possédait un atelier dans sa maison. « C’était une sorte de petit cabinet des curiosités. Il y régnait une atmosphère spéciale », se souvient-il. « Comme je suis quelqu’un de très solitaire, je me disais que je voulais aussi avoir un endroit à moi comme celui-là. »

C’est sur les bancs de Saint-Luc que ce sympathique Liégeois découvre le roman graphique. « Sans cela, je ne suis pas certain que j’aurais fait de la bande dessinée », m’avoue-t-il. « Dans ce genre, on ne sait jamais ce que l’on va y trouver. Tous les sujets, tous les styles, toutes les structures se prêtent au roman graphique. Cela ouvre considérablement le champ des possibles. »

Jean en profite pour cultiver sa passion, découvre les opportunités créatives qui s’offrent à lui et explore son rapport au dessin et la narration. « La BD, c’est un peu comme du cinéma sur papier. Certains moments muets – que j’affectionne – sont essentiels. Et comme pour un film, avant de passer à la réalisation, il y a la phase d’écriture et les croquis préparatoires », compare-t-il. « J’ai découvert que l’écriture était devenue ma partie préférée d’un projet. J’écris d’abord pour avoir un projet à dessiner. L’écriture est de l’ordre de l’intime, le dessin permet de rendre cela public. J’ai appris que j’aimais raconter des histoires. Cela commence souvent parce que j’ai une tête en scène. »

Tout s’est accéléré pour Jean lorsqu’il remporte le Grand Prix jeunes talents du concours « Quai des bulles » à Saint- Malo en février 2020 et qu’il signe quelques temps plus tard chez Le Lombard pour son projet devenu le successful Vague de froid. Un album inspiré d’un voyage en Norvège entrepris avec l’un de ses frères, Martin. « Outre que ce périple m’a permis de me rapprocher de mon frère, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à en faire et j’avais déjà commencé à écrire le scénario sur le chemin du retour. Cela m’offrait la possibilité de rendre un cas particulier universel, ce qui est le véritable pouvoir de la littérature au sens large. »

Désormais installé à l’Atelier Armageddon où il a rejoint une tripotée d’autres excellents auteurs et dessinateurs – « cela m’oblige à sortir de ma grotte et c’est très stimulant » – qui l’ont chaleureusement accueilli, Jean fourmille de projets dont Le grand large qui sera publié chez Glénat à la mi-janvier 2024. Un ouvrage qui sera lui aussi dédié à un membre de sa famille. « Ce sera ma première vraie histoire avec des personnages inventés. Il traitera du passage de la vie d’ado à la vie d’adulte, lorsqu’on quitte la maison familiale. Cela parlera d’écologie, de handicap et se rapprochera d’un conte. Tout se passera sur l’eau », me présente-t-il. « J’ai un rapport particulier au monde aquatique, je trouve ça fascinant et mystérieux. »

L’eau, un élément qui devrait également se retrouver dans le troisième projet qu’initiera ce jeune homme bien dans ses baskets avec une histoire tirée de l’expérience vécue lorsqu’il s’est retrouvé piégé avec ses grands-parents lors des tragiques inondations de juillet 2021.« Etonnamment, alors que nous avons été bloqués pendant trois jours au premier étage, j’en garde un bon souvenir », me confie-t-il. « Ce sera un vrai huis clos, avec des moments muets, qui raconteront une expérience familiale de survie. Une histoire certes personnelle mais finalement très universelle. »

À 27 ans, avec un talent déjà affirmé et reconnu par ses pairs et le public, sans se prendre au sérieux mais en faisant les choses sérieusement, Jean Cremers est indubitablement destiné à marquer durablement le monde de la bande dessinée. Et c’est tant mieux !

Thiebaut Colot

Pour se procurer l’album Vague de froid : Vague de froid Vague de froid — Éditions Le Lombard

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Crédits photos : DR

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